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Utopia 56 : chez nous, chez eux

Alors que les députés débattent d’une nouvelle loi sur l’immigration, nous sommes allés à la rencontre des mineurs migrants aidés par l’association Utopia 56 à Tours.
Un jeune et un bénévole dans la cuisine de la maison Utopia 56 à Tours
Dossier

Une maison comme une autre, dans le quartier des Deux Lions, à Tours. Ici, une quinzaine de jeunes partagent cinq chambres, un grand salon, une cuisine et un petit bout de jardin. Mais c’est une colocation pas comme les autres : tous ces garçons sont des migrants qui ont quitté leur pays il y a plusieurs mois, parfois plusieurs années. Une fois arrivés en France, les jeunes mineurs (ils ont moins de 18 ans) ont normalement droit à l’aide de l’État. Mais parfois, l’État considère que le jeune n’est pas mineur (car les papiers sont faux ou qu’il n’en a pas par exemple), et ne l’aide pas. Pour éviter que ces jeunes dorment dans la rue, l’association Utopia 56 à Tours a donc mis en place plusieurs solutions pour les aider. Le « pavillon », un local un peu sommaire (sans eau ni chauffage), où dorment une vingtaine de garçons, et cette maison plus confortable, louée par l’association. 

Alseny, une vie depuis la Guinée-Conakry

Alseny, dix-sept ans, nous fait la visite : dans le grand salon, des canapés, une télé et une PlayStation qui captive pas mal de regards. À l’autre bout, un coin avec un ordinateur, pour se connecter à internet ou faire un CV. La grande table accueille les petits-déjeuners et le repas du soir, cuisiné par les jeunes habitants. « Cela fait partie des choses qu’on partage ici, explique Laurence, salariée de l’association qui vient coordonner la vie de la maison. Nous accompagnons ces jeunes dans leur vie quotidienne : après un voyage souvent traumatisant pour arriver en France, ils ont besoin de retrouver un cadre rassurant, un rythme de vie, des liens sociaux. Et nous cherchons aussi à les rendre autonomes : cuisiner, faire le ménage, se préparer le matin pour aller à l’école ». 

Alseny a ainsi passé sept mois dans cette maison, après son arrivée en France depuis la Guinée-Conakry (un pays d’Afrique de l’Ouest). Maltraité par son père, il a accompagné son grand-frère dans ce voyage de six mois vers l’Europe, après une traversée de la Méditerranée « qui m’a fait très peur ». Son frère est resté en Espagne, et lui a rejoint la France avec un objectif : « je voulais étudier ». 

Des bénévoles engagés

Hugues, bénévole de l’association Utopia 56 à Tours, nous raconte que c’est souvent la première question des jeunes accueillis : quand est-ce qu’on va pouvoir aller à l’école ? Si les jeunes ont un niveau suffisant et qu’il y a de la place pour eux, Utopia 56 les inscrit dans les collèges ou lycées de Touraine ; sinon, on leur propose des cours à l’école alternative gérée par des bénévoles tous les matins.

Aujourd’hui, après quasiment un an en France, Alseny sera bientôt logé par l’État car il a été reconnu mineur, et depuis septembre il apprend les métiers du bâtiment au lycée professionnel de Saint-Pierre-des-Corps. Un autre jeune vient d’arriver à la maison, il y a deux semaines : Nouhan, seize ans. À Tours depuis août 2023, il s’habitude doucement à sa nouvelle vie : « Ici je me sens bien. Je peux aller à l’école, faire du sport. J’apprends à cuisiner. On m’aide pour les papiers. Heureusement qu’Utopia était là ». 

Conseils du pro

​​Jérôme Damiens-Cerf est un avocat tourangeau spécialiste des mineurs isolés non accompagnés, et nous explique son travail : 

« Quand un Département considère qu’un mineur n’est pas mineur, celui-ci peut déposer un recours, avec notre aide pour le défendre. Nous vérifions que la procédure d’évaluation a été bien respectée (ce qui est rare), et nous demandons au juge que des vérifications des documents d’état civil et d’identité soient faites. Nous pouvons aussi critiquer l’appréciation des agents évaluateurs, souvent subjective. Ces agents connaissent rarement les cultures d’Afrique par exemple, et ne comprennent pas qu’un enfant de seize ans ne connaisse pas l’âge de ses parents ou de ses frères. Or dans de nombreux pays on ne fête pas les anniversaires, et les papiers d’état civil ne sont pas bien conservés car on n’en a pas besoin. À nous d’expliquer cette réalité et de montrer que les documents sont authentiques ».

À SAVOIR

Mineur / majeur 

Lorsqu’un jeune étranger arrive en France seul, et qu’il est mineur, il a droit à une protection de l’État, par l’intermédiaire du Département. Mais lorsqu’il devient majeur, il faut tout reprendre à zéro, ou presque ! En effet, à ses dix-huit ans, le jeune est considéré comme un adulte étranger, en situation irrégulière sur le territoire français ! Pour avoir le droit de rester en France, il doit donc demander un titre de séjour à la préfecture, en réexpliquant toute son histoire : d’où il vient, pourquoi il est venu en France, ce qu’il y a fait depuis qu’il est arrivé, pourquoi il veut rester… Et si la préfecture refuse de lui donner un titre de séjour, il risque de perdre son contrat d’apprentissage ou son travail par exemple. Du jour au lendemain, c’est la galère ! 

+ D’INFOS

Mineur étranger : mineur protégé (?)

Si un mineur étranger est seul en France, le Département a l’obligation de s’occuper de lui, en lui fournissant au minimum un abri et de quoi manger, et des soins médicaux s’il a des soucis de santé. Mais d’un département à l’autre, la règle n’est malheureusement pas toujours respectée.

LES CHIFFRES

60

Jeunes mineurs sont aidés actuellement par l’association Utopia 56 à Tours. 

14 782

Personnes ont été reconnues comme mineurs non-accompagnés en France en 2022.
C’est 30 % de plus qu’en 2021.

Une nouvelle loi

Le 14 novembre dernier, le Sénat a adopté le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Le texte doit maintenant être discuté et voté par les députés, à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi durcit de nombreuses conditions d’entrée sur le territoire français pour les étrangers.

À TAAAAABLE ! 

Le midi, les jeunes migrants dont s’occupe Utopia 56 à Tours sont nombreux à aller déjeuner à la Table de Jeanne-Marie. Jeanne-Marie Qui ? La Table de Jeanne-Marie, c’est une association qui propose des repas aux personnes en difficulté (migrants ou personnes pauvres ou sans abri). Chaque jour, environ 150 personnes viennent manger un petit plat préparé par les bénévoles, avec des produits donnés par des entreprises et des associations.

Par Emilie Mendonça – article publié dans Fritz nº69.

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